Aparté n°78, juin 2006
Au fil de ma recherche comme de mes collaborations, j'en arrive une fois encore à l'intime conviction que la performance attendue des entreprises et surtout des hommes et des femmes qui les font relève avant tout de leur capacité à observer et à comprendre inlassablement le monde qui les entoure et qui leur donne vie.
Au risque de l'évidence, comment en effet prétendre construire des offres attractives et pertinentes, comment alimenter l'intuition qui doit les précéder si ce n'est en développant la capacité de chaque acteur économique à explorer ce paysage de plus en plus complexe, multidimensionnel, multifactoriel et surtout en permanence changeant.
Le terme "d'intelligence économique" renaît aujourd'hui comme malheureusement aux heures les plus sombres de la guerre froide où il avait droit, voire, obligation de citer.
En 1994, Henri MARTRE, alors PDG de l'Aérospatiale, rendit, à la demande du Commissariat au plan (intitulé depuis Centre d'Analyse Stratégique), un rapport intitulé "Intelligence économique et stratégie des entreprises" (www.arphi.fr/Martre.htm).
Dans celui-ci, la définition suivante était proposée qui en précisait les contours et surtout qui préserve une actualité toute particulière :
"L'intelligence économique peut être définie comme l'ensemble des actions de recherche et de distribution, en vue de son exploitation, de l'information utile aux acteurs économiques".
Plus récemment encore, en juin 2003, Bernard CARAYON remit au Premier Ministre de l'époque un nouveau rapport intitulé "intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale" que je vous invite à découvrir comme le précédent (http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/034000484/0003.pdf).
Cette dernière production donna même naissance à un syndicat professionnel (la Fédération des Professionnels de l'Intelligence Economique).
De mon point de vue, encore trop peu de chefs d'entreprise connaissent ces informations essentielles et les mesures qui en résultent telles que la mise en place de pilotages régionaux sous l'égide des Préfets ou la création d'un référentiel de formation, d'une grande pertinence, que vous pouvez télécharger sur Internet (www.esiee.fr/masteres/pdf/referentiel-formation-IE.pdf).
Hors cet apport, je n'hésite pas à prétendre que, dans bon nombre de cas encore récemment rencontrés par votre humble serviteur, l'information de nature stratégique et donc plus que jamais indispensable à l'entreprise, se résume souvent à une somme d'affirmations pétries de catégorisme et, de fait, insuffisamment fondées. Elles se concentrent pour bonne part sur le regard porté sur les seuls concurrents directs et les fournisseurs et ce, de manière sporadique et peu organisée. Elle peut être agrémentée d'une revue de presse que pratiquement personne ou presque ne lit plus.
Le dirigeant gère généralement ces informations du moment de manière solitaire, dans l'ignorance insoupçonnée où se trouve la plus grande partie de ses collaborateurs dont il attend pourtant une contribution active en matière de réflexion stratégique.
Il existe, autrement dit, à ce jour, trop rarement encore en entreprise de véritable partage organisé et de valorisation systématique de l'information captée, comme le propose, par exemple, le knowledge management (au sens de la gestion en interne des connaissances).
Pourtant, les différentes vocations de l'intelligence économique démontrent à elles-seules tous les enjeux qui la sous-tendent. Elle permet en effet de développer la compétitivité des entreprises de façon durable :
- En contribuant à protéger leur patrimoine technique et technologique,
- En alimentant leur potentiel novateur,
- En favorisant leur respect de l'environnement,
- En défendant leurs emplois,
- En renforçant l'influence de leur pays d'attache.
Offensive et défensive tout à la fois, elle propose ainsi à l'entreprise qui l'adopte une véritable démarche proactive, portée par l'ensemble de ses collaborateurs. N'ayant rien à voir avec l'espionnage puisque s'inscrivant dans la plus stricte légalité, elle dépasse de loin le traditionnel principe de veille, uniquement réactif.
Si les grandes sociétés sont rodées depuis longtemps à cette démarche, il convient d'aider urgemment une bonne part des PME/PMI qui la maîtrisent encore mal aujourd'hui. 19% seulement des entreprises de moins de 500 salariés disposent en effet d'un budget pour développer l'IE.
En écho aux principes préalables de culture générale et de curiosité endémique sans lesquels elle ne peut de toutes les manières pas exister, l'intelligence économique, pour passer de l'intention à sa mise en pratique, nécessite que les dirigeants qui l'ont en responsabilité disposent pour eux-mêmes des compétences nécessaires. La pratique managériale doit ensuite favoriser un travail de sensibilisation et d'appropriation par l'ensemble des collaborateurs.
Enfin, il est également important de rappeler que la réussite d'une telle volonté dépend de la qualité des partenariats développés avec des établissements et institutions telles que les DRIRE, les CCI, les DDCCRF et les Chargés de Mission Défense Economique placés auprès des TPG et dont c'est justement le rôle.
Mais plus encore, n'ayons pas peur d'affirmer qu'aujourd'hui l'intelligence économique ne se limite plus aux entreprises. Elle est en effet devenue un véritable enjeu d'Etat.
Trois éléments indissociables sont indispensables pour qui veut créer un véritable outil d'intelligence économique :
- Le réseau : on le divise souvent en réseau interne (tous les employés de l'organisation, identifiés comme pouvant servir d'experts sur une ou plusieurs questions et fournir en retour des informations) et en réseau externe (personnes ressources n'appartenant pas à l'entreprise et de provenances diverses). Il permet ainsi de garantir la collecte exhaustive, ou presque, des informations recherchées et disponibles.
- La direction : l'intelligence économique est donc pilotée par le management de l'entreprise qui doit définir ses objectifs et les questions auxquelles il devra répondre (phase stratégique essentielle que de se poser les bonnes questions). Garante du sens, elle assure également la pérennité de la démarche par la sensibilisation et la motivation du plus grand nombre.
- La mémoire : elle est chargée de stocker les informations recueillies afin d'en valoriser au mieux la nature et le potentiel. Incarnée institutionnellement par une personne ou un service qui en a les compétences, elle utilise pour autant des outils informatiques spécialisés, accessibles et disponibles aujourd'hui sur le marché.
L'intelligence économique, outil stratégique déterminant pour les entreprises et notre pays en général doit trouver au plus vite une place privilégiée.
Seule la volonté d'entreprendre et l'acquisition des savoir faire nécessaires le permettront.
Telle est l'une des pistes majeures qui permettra de développer la compétitivité de notre tissu économique, pour le moins malmené actuellement.
François BOUTEILLE
coaching et médiation