« Ça y est, j’y suis… » « Mais où est-il donc ? » « Vous ne le saviez pas ? » « Il prend sa retraite ! » Prendre sa retraite, quelle expression étonnante, n’est-il pas ? Généralement, l’expression est peu flatteuse. Ne dit-on pas d’une armée vaincue qu’elle bat en retraite. Aussi curieux que cela puisse paraître, ce n’est pas d’elle que je veux vous entretenir fidèles lecteurs pour la plupart desquels ce sujet n’est pas encore d’actualité. C’est bien de travail, du travail que je veux vous entretenir. Mon métier, tel un psy des entreprises, ainsi que me qualifiaient certains de mes clients, m’a en effet conduit à intervenir principalement en des situations où ce travail incarné par l’emploi en entreprise ne générait pas les effets attendus sur ses acteurs, tant sur le plan mental, physique que financier.
Il est vrai qu’aujourd’hui, prenant quelques distances avec ce temps travaillé, touchant de surcroît une pension modeste mais amplement méritée et surtout inconditionnellement due, j’ai sans doute intellectuellement et émotionnellement plus de latitude et de liberté pour aborder un tel sujet. Je reconnais que ce thème pourra paraître galvaudé à certains tant le nombre est important des philosophes et des chercheurs de tous poils qui y ont laissé quelques plumes bien avant votre humble serviteur.
Quelle place pour le travail ?
Partons, si vous le voulez bien, du postulat que nous sommes sur cette Terre pour y vivre heureux avec un désir de bien être accru, là où il ne nous paraît, en l’état, pas suffisant. Rien qu’en écrivant cette dernière phrase je me sens soudain envahi par un discret mais réel malaise. Ma culture et l’éducation qui en est le moteur me pressent de relativiser un tel propos. Mais pourquoi donc, si ce n’est pour trouver justement dans le désagréable quelque chose de vertueux ? De là à basculer de l’effort dans la souffrance rédemptrice, il n’y a qu’un tout petit ru que j’ai trop souvent enjambé à pieds joints, en toute insouciance, telle une évidence. « Mais où nous emmène-t-il ? » Et bien, dans un tel contexte, à questionner la place que prend le travail dans notre existence. Tant en ce qui concerne son principe, les objectifs à atteindre que les moyens mobilisés pour y arriver.
En 2017, la CFDT initiait une des plus grandes enquêtes sur le sujet, intitulée « parlons travail ». Pendant quatre mois, de septembre à décembre, près de 200 000 personnes ont répondu au questionnaire que leur proposait cette centrale syndicale au fil de quelques 200 questions. Me croirez-vous, mais, toutes catégories confondues, plus de 3 sur 4 des personnes interrogées 4 affirmèrent « aimer leur travail » et presque 60% « prendre du plaisir » en travaillant. Vous allez me trouver sans doute machiavélique mais le commun des mortels, pris dans ce carcan culturel et éducatif peut-il déjà en préalable se reconnaître le droit d’affirmer, de se reconnaître, s’il ne prend pas de plaisir au travail. Ceci, de peur d’être immédiatement perçu par ses congénères comme un déviant ou, pire encore, comme un looser. Ce propos, je vous l’avoue, me poursuit depuis pas mal d’années. Que les conditions de travail prêtent à générer du mal-être quand elles ne réunissent pas certaines conditions, je le conçois aisément. Mais la nature humaine dans ce qu’elle a de plus authentique, de plus anthropologique est-elle « faite » pour le travail institué et normalisé ou non ? Autrement dit, s’agissant d’un travail régulier, ordonné et réglementé. S’il s’agit de son aspect rémunérateur, sans aucun doute compte tenu de l’ordre économique mondial d’aujourd’hui et des règles qui en émanent par conséquent. S’il s’agit également de son emploi sur le plan vital, il est connu que l’Homme ne vit pas seulement de l’air du temps, au sens premier de l’expression.
Le libre arbitre
Mais s’il convient de l’entendre comme un temps devant être institué (et par qui ?) comme venant quotidiennement rythmer la vie au même titre que le sommeil, la toilette matinale et les repas, j’avoue avoir un doute certain.
Il n’est pas ancien ce temps où travailler était indigne parce que révélant l’incapacité de subvenir à ses besoins autrement. Là était la distinction entre la noblesse et le peuple. Loin de moi de regretter une telle époque mais de m’interroger toutefois sur le sujet.
Se pose aussi derrière cette première approche la question du choix, du libre arbitre. Notre modèle économique est clair. Qui décide de suivre ses envies du moment sur le sujet (travailler ou ne pas travailler) a deux possibilités : soit disposer d’un système autosuffisant, soit basculer rapidement dans une précarité dont on imagine aisément à terme l’issue fatale. Si j’ai pu prendre connaissance de certaines expériences de nature autarcique, quelles soient récentes ou fort anciennes, je n’en connais aucune qui ait permis à un individu de pourvoir seul à l’ensemble de ses besoins. En n’oubliant pas mon postulat de départ qui est l’accès au bonheur.
Il me semble donc que parler du choix de travailler ou non selon l’humeur et les besoins vitaux ne peut également trouver réalité qu’en groupe.
Accès au bonheur et rémunération
Mais revenons sur cette enquête fort intéressante compte tenu des paradoxes qu’elle met en lumière. Elle fait tout de même apparaître que l’accès au bonheur est proportionnel au niveau de rémunération. Évidence me direz-vous. Pour moi il n’en est rien, bien au contraire. Je dois vous avouer que les moments de ma vie qui me rendirent le plus heureux étaient bien ceux où je n’avais besoin de rien plutôt que de répondre à des manques. La différence peut paraître subtile mais elle replace, me semble-t-il, le bonheur, ce sentiment fort d’être pleinement heureux, dans les conditions qui le font. Notre société dite de consommation nous a inculqué cette évidence que nous manquons de l’essentiel, souvent à notre insu, pour justement accéder au bonheur. Là est toute l’habileté de cette « science » apparue au XXème siècle au doux nom évocateur de marketing. Mais nos ancêtres, ne disposant pas de tout ce que nous a concédé ce que nous avons qualifié sans grande nuance de « progrès », étaient-ils, pour cette raison et pour l’essentiel malheureux ? Je suis convaincu que non. Seule une comparaison établie hors les conditions de son intégrité permet d’affirmer le contraire. En clair, comparer l’incomparable conduit à l’absurde.
La réussite individuelle
L’autre facteur qui me semble venir entraver cette quête légitime de bonheur en dehors du travail est l’obligation de réussite individuelle, établie comme ne pouvant l’être alors qu’au détriment des autres. La compétitivité devient ainsi l’arme fatale qui permet d’accéder à un bonheur factice générateur dans la plupart des cas d’une forme d’addiction sans limite pour combler le manque. Il suffit pour s’en convaincre de se souvenir comment fonctionne notre système éducatif. La réussite collective qui augure du vivre ensemble y est bannie au profit d’un système de notation par défaut qui discrimine les élus des bannis. Montaigne, il y a fort longtemps, ne disait-il pas à qui voulait l’entendre « qu’il vaut mieux une tête bien faite qu’une tête bien pleine ». Je constate, je l’avoue avec une certaine lassitude, que même le bon sens le plus élémentaire échappe régulièrement à l’humain. Pour quelle raison ? Là encore, n’est-ce pas le meilleur moyen pour ne pas transgresser l’interdit tant redouté et appelé bonheur. Il est vrai que de tels postulats servent à ne pas en douter les minorités qui veulent s’arroger le pouvoir qui permet d’asservir et donc de faire travailler à son profit.
L’existence du bonheur réellement vécu est en effet source d’épanouissement et d’auto-détermination.
Si le travail entrepris à plusieurs a pour objet de viser collectivement au bonheur, à partir d’un véritable choix individuel et respecté, je pense que nous pourrons prétendre à être heureux ensemble. Autrement, ce ne sera que la désillusion, la guerre et, à terme, la mort, sans distinction.
François Bouteille
www.francoisbouteille.com
Bonjour François,
Comme d’habitude ton article et tes pistes de réflexion sur ce sujet sont intéressantes. Le sujet est vaste.
Voici quelques-unes de mes interrogations :
Est-ce que notre éducation conditionne l’accès au travail (effort, discipline, santé, respect de notre personnalité, travailler seul ou en équipe, etc…)
Qui travaille dans son domaine de passion, qui travaille avec passion, qui travaille par obligation et pourquoi ?
Est-ce qu’il y a une différence notoire entre le travail rémunéré et le travail bénévole ?
Est-ce qu’il y a un autre moyen que le travail pour exister socialement ?
Le passage à « l’âge de la retraite » apporte-t-il des réponses ?
Pourquoi se maintenir à son poste de travail, ou pourquoi revendiquer plus de libertés de son temps ?
Ps :
Vincent Lauvergne (président de l’académie de Mâcon, membre du lions club, et Coach sur la fin de sa carrière) décédé récemment a participé à un ouvrage intéressant :
« Réconcilier l’économique et l’humain en entreprise » collection EMS coach, éditions ems management et société.
Cordialement,
Denis P.
Rédigé par : Denis P. | 02 mai 2018 à 11:39
Bonjour François,
Une foi n’est pas coutume, mais je réagis à ton discours sur le travail
Crois tu vraiment que le sens de la vie c’est d’être heureux ?
Si c’est la cas (?) => se donner => rendre service => travailler !
(au passage les bénévoles travaillent … )
Bien amicalement
François P.
Rédigé par : François P. | 02 mai 2018 à 22:49