Par les temps qui courent, il est des concepts qui trouvent une actualité toute particulière dont celui de la performance. Les années passant, je m’autorise parfois à les réinterroger, surtout quand ils se présentent désormais à moi comme des évidences auxquelles déroger ne conduirait, paraît-il, qu’à une détérioration inévitable de l’existant. Je redoute en effet les évidences. Ma vie avançant, je me suis souvent rendu compte que derrière l’évidence se dissimulait souvent une forme de dictat qu’il convenait de combattre au nom de la liberté de penser et de l’autonomie d’action.
Cela est particulièrement vrai pour ce qui concerne la performance. Elle est de tous les débats, quel que soit le domaine abordé. Et pourtant, je n’ai jamais croisé autant de personnes de tous âges et de toutes conditions aussi fatiguées, usées, déroutées, bien au-delà des limites du raisonnable et pourtant au nom de la performance.
Mais quelle est cette performance qui semble produire tout l’inverse de ce que l’on en attend ? Ne faisons-nous pas fausse route ? Finalement, le jeu en vaut-il la chandelle ?
Une affaire de culture et d’histoire
La performance, présentée par bon nombre de nos chercheurs contemporains comme un objet scientifique devant relever du registre (parfois-même de la dictature) du mesurable (en particulier, en matière d’accroissement de la rentabilité), nous fait trop souvent oublier qu’elle résulte avant tout d’une posture individuelle, fruit de notre éducation et de notre décision.
Il est édifiant de constater qu’en français elle implique avant tout l’idée de résultat, de réalisation ou de finalisation, alors qu’en anglais ce terme se réfère avant tout au comportement, à la tenue d’un produit ou d’une personne face à une situation donnée. Par exemple, en France, on parle de « performance environnementale » alors qu’en Angleterre on lui préfère l’expression « comportement environnemental ».
Autrement dit, dans le premier cas elle est le fruit de l’action entendue comme un objectif quand elle relève dans le second cas d’une posture, d’un moyen.
A y réfléchir, il me semble que la civilisation dite du progrès a fait passer au premier plan la quête du mieux être plutôt que du bien être avec toute l’illusion dangereuse qui en résulte. Ce changement de paradigme est loin d’être neutre puisqu’il institue que désormais toute situation peut et doit être systématiquement sujette à un changement vers le « mieux ». N’est-ce pas là la définition-même de cette notion de progrès promue par un marketing pour le moins intéressé quantitativement par certains au détriment en réalité de la qualité de vie du plus grand nombre ?
Contrainte et performance
Admettons que la performance soit à entendre ainsi, peut-on pour autant se contraindre comme contraindre celles et ceux dont nous avons la responsabilité à l’adopter de facto ? La réponse est évidemment non car il suffit de lister les moyens à mobiliser pour en comprendre par conséquent les effets inévitablement néfastes à terme.
Il va donc sans dire que la performance relève avant tout d’un accomplissement volontaire de soi, visant au bonheur par l’épanouissement. La compétition de haut niveau, transférée dans ses arcanes au champ de l’économie, a conduit un certain nombre de ses représentants à défendre le principe que pour gagner il fallait être le meilleur en se dépassant comme en dépassant les autres. Illusion ou réalité, de là à remettre en cause la notion de compétitivité comme moteur de la performance, il n’y a qu’un pas.
Travail et performance
Je suis édifié par cette approche de la performance qui trouve aussi son analogie dans l’art de la guerre tout autant que dans une approche solitaire.
Doit-on inévitablement se sacrifier comme sacrifier ses collaborateurs sur l’autel de la réussite ? Curieux paradoxe auquel je n’adhère surtout pas. Le management est, à ne pas en douter, un art de vivre et non pas de tuer
Evidence me direz-vous. Faut-il que les comportements et les actes suivent en toutes circonstances, loin des menaces et des propos blessants. Etre bon est pour certains un signe de faiblesse quand être le meilleur est une vertu.
On peut être bon pour soi et pour les autres c’est-à-dire avant tout juste, en harmonie, sans tomber pour autant dans l’acceptation absurde de tout et n’importe quoi, fruits de la négligence. Il n’y a donc rien d’idyllique à opter pour ce comportement, seulement la recherche d’une efficacité plus grande, propice à fédérer, sans complaisance, autour de soi. Là est le creuset de la recherche de performance accrue et collective quand elle est nécessaire et non systématique.
L’effort volontaire qui caractérise ce moment particulier ne peut s’inscrire que dans un processus de valorisation propice à mobiliser et motiver. Le dépassement de soi résulte inévitablement d’une telle posture et de tout ce qui sera mis en œuvre pour la suggérer, l’inviter à s’exprimer.
Je n’ai jamais connu d’athlète de haut niveau qui ait gagné en s’enfermant dans une relation à soi et aux autres, fondée sur la contrainte, le mépris et la tristesse. Donner le meilleur de soi résulte d’un principe de contamination positive où l’humour (et non la dérision) doit se voir réserver une place privilégiée génératrice de bien-être, de plaisir et de renforcement de la relation avec les autres.
Là est la meilleure façon d’éviter le piège tendu que de basculer dans une recherche de performance tyrannique autant qu’asservissante et dont l’issue est malheureusement fatale.
Ainsi, plus que de débattre sur le principe-même de performer ou non, c’est bien des raisons et des conditions de sa mise en œuvre que résulte l’essentiel de la réussite de cette démarche. Et cette dernière doit déjà garantir à chacun le bien-être qui lui est indispensable pour vivre dignement et agréablement.
Une fois les choses ainsi mises en ordre de marche, la question se posera naturellement à celles et ceux qui veulent accéder à un bonheur accru que de devoir nécessairement ou non user de performance.
Loin de toute compétition, je préfère ainsi entendre la performance comme une utilisation adéquate de la volonté de chacun au service de la promotion du plus grand nombre et non comme l’utilisation despotique du pouvoir de quelques-uns au détriment des plus faibles. Une entreprise qui réussit est avant tout une structure où celles et ceux qui y travaillent sont heureux et fiers de participer activement à son développement. Là est la mission première de son dirigeant, manager des Ressources Humaines.
François BOUTEILLE
Bibliographie
- Pour une éthique de la performance
Olivier LENOIR – Editions L’Harmattan
- La « tao-entreprise » : performance globale et harmonie
Bernard PLANO – Editions DE BOECK
- Le culte de la performance
Alain EHRENBERG – Editions FAYARD/Pluriel
- L’école à l’épreuve de la performance
Christian MOROY – Editions DE BOECK
- 48 clefs pour un management durable
Xavier CAMBY – Editions Yves BRIEND
- Le management participatif : la coopération au service de la performance
Laure LETELLIER – Editions Ellipses Marketing
Le problème de la performance, c'est que, comme l'argent (la trésorerie ou les ressources financières, etc., peu importe comment on voudra le nommer) est devenue une fin et non pas un moyen.
D'où l'escalade vers l'affolement des marchés et de l'économie à l'échelle mondiale et sa déclinaison sur le plan micro-économique des entreprises, qu'elles soient d'ailleurs grandes ou petites.
Par ailleurs, la valeur du Travail n'existe plus en tant que telle mais elle est passée après la "rentabilité", ce qui induit l'effacement de l'humain au profit du profit sonnant et trébuchant. Les décideurs et autres DRH sont eux-même soumis aux diktats de la rentabilité qui président actuellement dans les entreprises. Et certains collaborateurs ne gagnent de plus en plus souvent plus assez d'argent pour se loger décemment ou nourrir normalement leur famille.
S'en suivent les radicalisations de tous ordres qui provoquent de nombreux dés-ordres sociaux et politiques et qui influent sur le moral des employés comme des décideurs.
Comment alors s'étonner des résultats aux dernières élections Européennes, des témoignages de plus en plus nombreux de maltraitance dans le milieu professionnel (et le développement d'organismes tels que la Consultation "Souffrance et Travail"), du blues - voire du suicide - des cadres et dirigeants d'entreprises ?
Il faudrait pouvoir trouver le moyen de revenir à la raison, en considérant la performance comme une envie ET comme une nécessité de développer son entreprise autrement que par sa capacité à brader des produits ou des services pour rester sur le marché.
Aujourd'hui, à l'heure ou nombre d'entrepreneurs vivent "la tête dans le guidon", rester créatif, c'est devenu comme le temps : un luxe compliqué à préserver dans l'optimisme.
Et pourtant, c'est probablement l'une des clés pour gagner en performance et en parts de marché !
Rédigé par : Valérie | 26 mai 2014 à 15:43
La performance n'est-elle pas simplement un ensemble de conditions réunies pour atteindre un objectif ?
Ne serait-il pas temps dans ce pays de poser les vrais conditions, humaines, individuelles et collectives, acceptées et partagées par la plus grande majorité d'entre nous et visant au bonheur et à l'harmonie de chacun ?
Ne serait-il pas temps aussi de définir un ou des objectifs communs, réalistes et porteurs des valeurs humaines propre à notre culture, notre histoire ?
Plutôt que de diviser l' Homme sur des idées, des méthodes, des principes établis, ne vaudrait-il pas mieux le rassembler sur un projet collectif de vie ou chacun, en fonction de ses capacités et possibilités, saurait trouver les conditions propre à son épanouissement ?
Beaucoup de questions où le lien (terme très utilisé en ces temps) entre les composantes de notre société et l'objectif qu'elle s'est fixée semble évident aux yeux de tous mais tellement difficile à créer...
Il est pour moi le vrai challenge du 21ème siècle !
Rédigé par : pascal Morot-Raquin | 26 mai 2014 à 17:10
cher François,
quelques tous petits mots ....la performance peut participer à la restauration d'une image de soi, possiblement défaillante après une blessure narcissique ou physique; on se "dépasse", on refait ce que l'on ne pensait plus pouvoir faire, on se dit "tiens non seulement je peux faire comme avant, mais encore mieux, cette performance me booste"....elle peut être individuelle ou au sein d'un groupe, d'une équipe, l'autre pouvant d'ailleurs etre l'élément aidant d'une restauration de son image de soi.
mais ce peut etre aussi "aujourd'hui j'ai été performant", c'est à dire que j'ai été à l'essentiel, sans perdre de temps, efficace, cette performance que je m'attribue me réjoui, elle est souvent tributaire de mon moral, de mon environnement et il est bien difficile de la convoquer, elle s'invite à la table de mon quotidien quand bon lui semble, c'est d'ailleurs ce qui en fait apprécier le bout de route que l'on parcours ensemble....
merci pour ces missives toujours très attendues. D.P
Rédigé par : D.P. | 29 mai 2014 à 00:14
Bonjour François,
De mon point de vue, la Performance est à entendre comme un investissement caractérisant l’intensité, la direction et la persistance d’une action, indépendamment des capacités du sujet agissant, et sans corrélation avec le résultat.
Cette définition, me semble-t-il donne alors un sens positif à la Performance.
En effet, vue sous cet angle, elle se traduit concrètement par l'attitude qui consiste à orienter son action vers un but, mobiliser son énergie pour atteindre ce but, et ne pas baisser les bras face aux difficultés ou à l'échec.
Au travers d'une performance reconnue, ce n'est donc plus le résultat, mais bien l'effort consenti qui sera loué.
Par cette approche, la Performance s'inscrit donc dans une démarche utile et nécessaire au développement personnel d'un individu (ou à l'amélioration continue d'une organisation) et devient source de valorisation.
Rédigé par : Jacques | 04 juillet 2014 à 15:20