Pour certains, parler de risques psychosociaux sent immédiatement le soufre et nécessite par conséquent d’être tu ou, tout du moins, minimisé. Ce que je regrette. Car les tabous mènent fatalement à l’ignorance et donc à des modes de représentation souvent erronés et surtout préjudiciables aux victimes. Pour d’autres, le travail, par nature, est générateur de risques physiques et psychologiques au point de ne pouvoir dissocier l’un des autres. Quoi qu’il en soit, de telles manifestations aux conséquences graves sont de plus en plus fréquemment rapportées. Ce qui en démontre l’actualité toute particulière. Je vous rappelle que les dirigeants n’en sont pas plus à l’abri.
Tous les spécialistes du soin sur le plan mental s’accordent à dire que les cas de burnout, de dépression ou de suicide ne cessent de se multiplier à une vitesse pour le moins inquiétante dans la sphère patronale comme, plus généralement dans l’exercice des métiers à fort engagement personnel, à commencer par ceux relevant du secteur social.
Une réalité complexe
Il n’existe à ce jour aucune définition unique des risques psychosociaux. L’ANACT (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail) propose toutefois la suivante : « Les risques psychosociaux (stress, violences, harcèlements, …) apparaissent lorsqu’il y a un déséquilibre dans le système constitué par l’individu et son environnement de travail […] La notion de risque doit s’entendre comme la probabilité d’apparition de trouble psychosocial ayant pour origine l’environnement professionnel. »
Elodie MONTREUIL propose un cadre d’analyse simple pour identifier les risques psychosociaux. De son point de vue, les situations exposant le plus à ces derniers sont celles pour lesquelles on peut identifier la combinaison des quatre facteurs suivants :
- Une charge mentale élevée (faute d’une régulation de la charge de travail, d’une clarté suffisante des responsabilités, de l’existence de moyens humains et matériels adaptés, d’un véritable management de l’accompagnement au changement, …),
- Une faible latitude décisionnelle,
- Un soutien social peu actif,
- Un système d’alerte et de veille défaillant.
Le travail salarié, un contrat équitable
Une telle situation oblige déjà à se réinterroger sur la notion-même de travail. Lors des conseils que je prodigue à mes clients, je m’empresse de repréciser avec eux ce qu’est et doit rester le travail salarié. Il n’est pas vain de le redire quand nous savons que nous consacrons à nos emplois rémunérés un tiers de notre vie active. Il relève avant tout d’un contrat. C’est-à-dire de l’échange négocié et équitable d’une force de travail intellectuelle et physique contre une rémunération. J’insiste sur cette notion d’équité qui passe souvent aux oubliettes compte tenu d’un déséquilibre notoire de plus en plus fréquemment constaté, dans un sens comme dans l’autre, entre l’offre et la demande d’emploi et créant ainsi un rapport de force.
Elle touche d’ailleurs plus cruellement certains secteurs d’activité tels que le BTP, l’Agroalimentaire, l’Industrie, l’Hôtellerie restauration. Il existe plusieurs causes à cette inadéquation. Les conditions de travail réservées encore en certains cas en sont l’explication tout autant que la représentation systématiquement repoussante de ces secteurs d’activité qui est inlassablement véhiculée par le corps éducatif, enseignants et parents confondus.
Il ne sera pas question pour moi d’abonder un tel jugement de valeur mais bien de rappeler à tous les acteurs concernés que l’essentiel doit conduire chaque individu pénétrant le monde du travail et gérant ensuite son plan de carrière à choisir métier et emploi en toute connaissance de causes, selon la nature de son projet professionnel. Comme à chaque employeur de garantir des conditions de travail dignes s’il veut obtenir individuellement et collectivement pour son entreprise ce qu’il souhaite. Evidence me direz-vous. Je ne vois pourtant pas d’autre hypothèse pour qui veut promouvoir cette notion d’équité et surtout en garantir la permanence. J’en conclue que la gestion des risques psychosociaux résulte déjà de l’anticipation, bien en amont de l’embauche.
Le travail, source de plaisir ou de désagrément ?
Lorsque j’aide mon client à formaliser son système de valeurs, c’est-à-dire à mieux exprimer sa représentation idéale d’une entreprise, moteur principal de motivation et de cohésion interne au service des décisions judicieuses à prendre, se pose la plupart du temps la question du bonheur au travail. Là encore, notre culture ne nous aide pas. Il semble que pour beaucoup travailler relève plus de la nécessité, au sens coercitif du terme, que d’une envie génératrice de plaisir. A l’inverse, il y a ceux qui inscrivent le travail dans une relation obligatoirement pétrie d’amour.
Je redoute tout propos dont la nature serait avant tout d’ordre affectif car il conduit à une argumentation sans véritable fondement objectif. La question que je pose est encore une fois celle de l’équité. Equité non pas induite dans sa gestion mais faisant bien l’objet d’échanges réguliers et construits, sur le plan individuel et collectif, pour en valider de manière critique et non sentimentale la réalité autant que la permanence. Et cela concerne tout autant le temps de mise en œuvre des missions confiées, l’évaluation des résultats obtenus que les effets impactant le salarié sur le plan physique et psychologique.
Loin pour autant de réfuter l’existence de l’effort dans le travail et de possibles risques, je suis convaincu que reconnaître ainsi le travail accompli pour ce qu’il a de satisfaisant ou non et de concordant ou pas dans le cadre cette relation client/fournisseur d’employeur à employé, est alors source d’épanouissement personnel pour les individus comme de développement réussi pour l’entreprise dans son entier.
Cela me conduit à rappeler cette notion chère au Centre des Jeunes Dirigeants : la relation de travail en entreprise doit être de nature gagnant-gagnant pour ceux qui veulent ensemble réussir. Là encore, une telle gestion attentive des Ressources Humaines, exigeante autant qu’empathique pour chaque acteur, permet d’éviter cette escalade des risques psychosociaux dont on sait la violence infinie et durable comme l’issue dramatique.
Je n’hésite pas à affirmer que dans un contexte de guerre économique de plus en plus mortifère, l’entreprise doit être un havre de paix sur fond de confiance démontrée en toute réciprocité ou, tout du moins, avoir l’exigence de tendre à l’être, pour le bien-être et la dignité de toutes celles et ceux qui lui donnent sa raison d’être.
Lorsque les troubles psychosociaux se manifestent
Il est clair que la nécessité croissante et de plus en plus fréquente de réaliser des changements au sein de l’entreprise du fait de l’évolution permanente et imprévisible de son environnement socio-économique conduit à une élévation des risques psychosociaux aux conséquences pathogènes. Offrir alors un regard bienveillant lors de la manifestation des troubles, loin de toute posture culpabilisante ou coupable, est essentiel. Le diagnostic de premier niveau réalisé par l’employeur ou l’un de ses représentants doit aboutir à des postures graduées selon leur gravité. Elles peuvent impliquer seulement l’entreprise et le collaborateur ou donner lieu le plus rapidement possible à la préconisation d’un accompagnement individuel et/ou collectif, parfois de nature thérapeutique, réalisé par un tiers externe compétent. Mais il faut bien le reconnaître, il est déjà fort tard, voire trop tard, pour remédier valablement à cet état. Dans ce contexte, il convient ensuite d’analyser les causes selon une procédure préétablie afin qu’elles ne se reproduisent plus.
Au vu de tout ce que je viens d’exprimer, ma conviction est faite que tout doit être mobilisé pour que chaque entreprise dispose d’une véritable politique de prévention des risques psychosociaux intégrée à sa démarche d’amélioration continue de la qualité et portée par son management.
Sur le plan de la législation, n’oublions pas que, quel que soit la taille de l’entreprise et son secteur d’activité, l’employeur doit de toute manière transcrire dans un document unique, les résultats de l’évaluation des risques à laquelle il a procédé dans le cadre de son obligation générale de prévention des risques professionnels. Ce document doit comprendre également un programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail. Depuis quelques mois, selon la nature de certains risques identifiés, ce document unique doit être complété par des fiches individuelles de prévention des expositions.
Mais rappelons-nous surtout que seul le bien-être au travail permet durablement d’assurer et d’assumer les efforts attendus tout autant que de s’épanouir. La souffrance au travail n’a, par conséquent, pas sa place dans l’entreprise qui veut réussir.
François BOUTEILLE
Bibliographie
- Prévenir les risques psychosociaux, Odile MONTREUIL, Editions DUNOD
- Risque psychosociaux, santé et sécurité au travail, Emmanuel ABORD de CHATILLON, Editions MAGNARD VUIBERT
- Repenser le bien-être au travail, Angela PORTELLA, Editions STUDYRAMA
- Management d'équipe : 7 leviers pour améliorer bien-être et efficacité au travail, Jean Pierre BRUN, Editions EYROLLES
merci pour ton envoi..... je partage ton approche.... et dans les periodes actuelles de fortes remises en cause ( facteur a lui seul que ce soit au boulot ou ailleurs est générateur de stress.... qui pose la question du comment s'adapter ???) comment donner l'autonomie comment donner la liberté a chacun de prendre les virages en toute responsabilité ??? des pansements, une aide ponctuelle ???..... ou un traitement de fond qui libere ???
une question sur laquelle je ne sais pas quoi dire .... une dualité de plus... tu as surement des idées.
a bientot
M.M.
Rédigé par : M.M. | 30 septembre 2012 à 22:51
Actualité brûlante pour nous où, en cette période de vendanges, l'embauche pour une période de très courte durée de personnes au profil social difficile ne manque pas de nous renvoyer à la problématique bonheur au travail / travail coercitif à objectif purement et cruellement économique ou administratif. Que doit-on faire ? Dans l'imaginaire, les vendanges, c'est la fête, comme toute récolte. Dans le quotidien, c'est un travail pénible et fatiguant. Nous essayons de faire valoir l'un sans occulter l'autre, en tant qu'employeur. Pour autant, les salariés ont du mal avec cette ambivalence. Et pour le personnel permanent, le spectacle de cette difficulté a comprendre et à entendre est une dure remise en cause. Simple témoignage de questions que nous nous posions, et qui ont trouvé écho dans ton aparté. Merci. CT
Rédigé par : CT | 02 octobre 2012 à 10:06
Merveilleux article que je partage pleinement. Chaque fois que nous célébrons une réussite ou un progrès dans l'Entreprise, nous instaurons ce climat nécessaire pour développer pour chaque employé le sens, le plaisir de contribuer et d’être utile. Je vous invite a lire la suite de mes réflexions sur le bien-être et la performance sur http://wp.me/p2GMW8-g . Bien cordialement
http://stephaneloiret.wordpress.com
Rédigé par : Stephane Loiret | 22 octobre 2012 à 18:53