Tout juste rentré de vacances, m'interrogeant sur le thème pour ce mois de notre réflexion, le goût de l'aventure me vint à l'esprit telle une évidence. Dans ce monde de tensions que nous connaissons, en ces temps de régénération vitale que sont les vacances, les habitudes que nous avions prises ne nous figent-elles pas, individuellement et collectivement, sans ne plus avoir d'attrait pour ce qui nous fait évoluer pourtant vers la découverte, grâce au voyage. Le présent devient alors notre seule référence dans cette illusoire volonté qu'il se fixe, immobile, ne serait-ce que l'ombre de quelques instants de tranquillité.
Tout nous conduit trop souvent aujourd'hui à penser que le changement ne peut être que source de danger. Mais goût de l'aventure et force des habitudes font-elles forcément mauvais ménage ?
Pourquoi l'aventure ?
Le mot "aventure", du latin "advenire", désigne ce qui doit arriver à quelqu'un. Par association d'idées, il renvoie à "avenir", "destin", "destinée", "sort". Le Petit Robert en donne pour définition : "Ensemble d'activités, d'expériences qui comportent du risque, de la nouveauté et auxquelles on accorde une valeur humaine".
C'est donc bien la notion d'incertitude qui sert de moteur à l'aventure, la finalité étant de contribuer à la promotion de l'individu et/ou de son groupe d'appartenance. La question est donc posée de la nécessité et de l'envie d'évoluer favorablement, pour soi comme avec et pour les autres.
J'avoue être particulièrement attiré par ces aventuriers, pour peu qu'ils aient respecté les fruits de leur découverte. L'un d'entre eux, aujourd'hui décédé, est particulièrement cher à mon cœur. Il s'agit de Bernard MOITESSIER, navigateur et écrivain-philosophe. Son livre de bord au titre éloquent, "La longue route", m'a incontestablement aidé à devenir l'homme que je suis et le marin que j'essaye d'être.
En 1968, cette première course autour du monde en solitaire et sans escale, entrepris avec son fidèle ketch prénommé Joshua, devait le rendre célèbre. Toutefois, alors qu'il avait pratiquement bouclé son périple, il décida d'abandonner, ou plutôt de poursuivre sa route vers Tahiti et les eaux bleues du Pacifique. Une remarquable performance devenait un pied de nez à la civilisation, une aventure humaine, unique et précieuse. Il se prénommait volontiers "aventurier des mers du Sud".
Je retiens surtout de cet homme sa profonde humanité autant que sa remarquable faculté d'analyse. Grâce à lui, j'ai compris tout le sens de la quête initiatique du voyage qui nous conduit au plus profond de nous-mêmes pour tendre à mieux comprendre la condition humaine, jour après jour, par la rencontre du différent dans toute son authenticité.
Partir, s'éloigner, prendre de la distance, vivre en solitude, pour mieux se rapprocher de soi et des autres. Curieux paradoxe mais ô combien vrai pour qui s'y emploie régulièrement. Car voyager, c'est bien partir à l'aventure de la connaissance et donc de l'enrichissement. Bernard MOITESSIER résume à merveille et sans complaisance les vertus du voyage : «J’ai toujours eu le sentiment que les longues traversées se traduisaient chez moi par un nettoyage en profondeur de toutes les salissures amassées pendant un séjour à terre.»
Force ou poids des habitudes ?
Ces deux expressions expriment bien combien les habitudes agissent également en dualité. L'habitude ancre le bateau au roc dans la tempête, le protégeant du péril autant qu'elle peut l'entraîner vers le fond, faute d'une vigilance suffisante.
Autrement dit, disposer d'habitudes, tels des rituels appliqués à des situations à chaque fois particulières, structure et donc renforce le sens de notre existence au quotidien.
Hors toutes formes d'excès, ces habitudes contribuent à nous libérer pour pouvoir prendre de nouveaux engagements matériels ou spirituels. Pour peu qu'elles n'en restent que des moyens à leur service.
Pris dans cette acception, les habitudes nous façonnent culturellement. Elles nous permettent de nous reconnaître socialement et par là-même contribuent à nous sécuriser sur le plan identitaire. Parler d'habitudes alimentaires, vestimentaires, de coutumes de quelque nature qu'elles soient, nous ramène en effet au groupe social auquel nous appartenons.
Par contre, poussées à l'excès, passant alors de moyens au service de notre épanouissement à une finalité de nature faussement sécuritaire car conduisant à l'asservissement, les habitudes que nous avons prises peuvent nous mettre en danger par leur capacité redoutable à nous écarter de la réalité naturellement changeante et donc de l'aventure, tout en nous isolant.
Carole THIBAUDEAU, journaliste québécoise, décrit très bien les risques psychologiques liés à cette posture protectionniste : «Lorsque nos habitudes menacent la qualité de la relation que nous avons avec nous-mêmes et l’établissement des relations avec les autres, lorsqu’elles créent un déséquilibre ou qu’elles empêchent d’évoluer normalement, lorsqu’elles brouillent notre perception de la juste réalité, nous enlèvent une partie de notre autonomie et nous privent de nos émotions et de leur expression, nos mauvaises habitudes deviennent une menace pour notre santé mentale.»
Façonnons donc nos habitudes pour le meilleur, chaque fois que nécessaire, plutôt qu'elles nous façonnent sinon, pour le pire.
En somme, tout est une fois encore affaire d'équilibre, d'harmonie savamment orchestrée entre ce besoin tout aussi vital de sécurité et celui d'explorer, telle une respiration existentielle. La vie est finalement à l'image de nos vacances. Quitter régulièrement le domicile et ses habitudes, voyager alors aux confins de l'inconnu pour revenir chargé de nouvelles idées et sentiments enrichissants pour avancer, inlassablement, vers ce qui nous est meilleur, puis repartir, à nouveau.
Thornton WILDER, dramaturge et romancier américain, résume avec spiritualité ce court propos : " C'est lorsque vous chaussez vos pantoufles que vous rêvez d'aventure. En pleine aventure, vous avez la nostalgie de vos pantoufles."
François BOUTEILLE
Coaching & médiation
Bibliographie
- La longue route – Bernard MOITESSIER – Editions J'ai Lu
- Vivez sans entrave – Pema CHÖDRÖN – Editions Le courrier du livre
- L'aventure n'est-elle qu'une mode ? – Agora 11 – Editions L'HARMATTAN
- Traité des solitudes – Nicolas GRIMALDI – Editions PUF
- Les 7 habitudes de ceux qui réalisent tout ce qu'ils entreprennent – S.R. COVEY – Editions Générales First
Bonjour François, je vois que tu t'es bien ressourcé et que tu es plein d'allant. Conserve ces réserves le plus longtemps possible.
Quant à tes réflexions que tu nous fais partager, voici les miennes qui dévient peut-être légèrement, à savoir :l'aventure n'est-elle parfois pas aussi une fuite en avant, fuyant la réalité? J'en ai connu des aventuriers laissant un chaos derrière eux sans avoir pris le temps de le démêler...
Amitiés,
B.C.
Rédigé par : B.C. | 31 août 2011 à 11:27
Bonjour François,
C'est une très belle réflexion sur le voyage et l'aventure.
J'enfile mes pantoufles tout de suite !!! mais pour aller bosser.
Blague à part,je rêve d'un grand voyage en voilier !!!C'est ma passion....
A bientôt
M.C.
Rédigé par : M.C. | 31 août 2011 à 11:29
François,
Merci pour ton propos... une vraie source de réflexion.... et je ne peux m'empêcher de faire le lien avec mon métier... le risque.... la prise de risque.... on en parle quand tu veux
a tres bientot
M.M.
Rédigé par : M.M. | 31 août 2011 à 22:43
Bonsoir François,
Ta dernière est tout bonnement une manière de chef-d'œuvre . Si le terme te gêne je le remplacerai par "superbe". C'est sans doute la plus belle et la plus importante à mes yeux de toutes les lettres que tu m'as envoyées.
Le problème qui court en filigrane dans ce texte est celui de l'audace et du formatage. Donner le sens de la prise de risque calculé et de la préparation de l'aventure ne fait pas partie de notre enseignement. L'école en toute honnêteté d'ailleurs et avec de bonnes intentions nous formate à tous les étages de ses degrés. La cause est-elle désespérée? Je ne le pense pas. Il suffit d'appliquer le principe du Kouglof. Ce gâteau, prince du petit déjeuner, n'est enfourné et dégusté que lorsqu'il a largement dépassé le bord du moule.
Salut et bonne soirée à toute la famille.
J.F.C.
Rédigé par : JFC | 15 septembre 2011 à 20:11