Le risque majeur d'un dirigeant est bien de flirter avec l'un ou l'autre à l'extrême, autrement dit, d'être essentiellement gestionnaire ou, à l'opposé, uniquement développeur.
Le consultant que je suis en aide à la décision stratégique fait en effet trop souvent le constat qu'il en est malheureusement ainsi. En réalité, et nous le savons bien, le chef d'entreprise tire sa performance et celle de son entreprise d'une prise en compte toute aussi attentive de ces deux missions et ce, dans une proportion, il est vrai, qui peut varier selon la situation et les conditions du moment.
A n'être qu'homme de gestion, le décideur peut alors s'enfermer dans un fonctionnement tel qu'il ne tienne plus suffisamment compte de son environnement, de tout ce que celui-ci lui procure comme informations en amont et indicateurs de satisfaction ou d'insatisfaction en aval. Homme de production, il s'enferre dans des choix qui peuvent relever de sa représentation de la réalité plus que de la réalité elle-même.
Et à n'être que développeur, le décideur peut être amené à faire des choix que lui inspire son environnement mais que son entreprise ne pourra pas supporter structurellement, humainement ou financièrement, au regard des moyens dont elle dispose.
Dans les deux cas, et là est le plus important, il y a danger vital.
Il faut donc que le dirigeant arrive à concilier simultanément les deux domaines, parce qu'ils lui apportent à la fois la part stratégique et la part pratique de son activité.
Parlons tout d'abord du temps à consacrer au développement. C'est le temps de l'observation, de la collecte et de l'analyse des informations, qu'elles proviennent de l'entreprise elle-même ou de son environnement. C'est celui de l'élaboration des orientations, des prises de décisions et des projets qui en découlent. C'est un temps de prise de recul, de concertation et pour terminer de mise en distance, souvent solitaire, le temps de la prise de décision. C'est celui de la pensée, de l'être et de l'ouverture autour de soi pour mieux se recentrer sur ce qui va devoir être l'essentiel.
Quant au temps de la gestion, c'est celui de la régulation par la valorisation des actions retenues, de leur mise en œuvre, pour le meilleur. Le dirigeant est alors en proximité avec l'activité, les processus qui la structurent et ceux qui les incarnent. C'est en somme le moment de la centration sur les tâches à accomplir et les moyens de leur exécution optimale.
La plus value qu'apporte le décideur à son entreprise résulte tout particulièrement de sa pleine et entière capacité à aller de l'un à l'autre de ces moments avec une amplitude et une fréquence que lui dicte son professionnalisme.
Cela lui demande d'être à la fois humble (il reconnaît qu'il ne sait pas tout) tout autant qu'ambitieux (il veut tout savoir).
Souvent, je constate que les dirigeants avec qui je collabore sont mieux équipés intellectuellement pour gérer un équipement que pour le développer. Il est probable que leur formation, leur histoire comme la culture qui en résulte favorisent pour bonne part chez eux cette posture. Souvent nés de la production (histoire de famille, promotion interne, cursus scolaire, …), ils prétendent qu'en gérant ils ont le sentiment d'être particulièrement productifs grâce à la maîtrise qu'ils ont des processus. Alors qu'en d'autres cas, et surtout quand ils "quittent" l'entreprise, ils craignent de perdre leur temps, ou tout du moins de ne pas l'utiliser à bon escient dans un univers moins cartésien où les résultats tangibles sont moins visibles qu'immédiats car constitués pour bonne part à la base de relations humaines qu'ils maîtrisent moins bien et qui les inquiètent alors.
Nous pouvons énumérer ici quelques outils disponibles leur permettant d'acquérir une meilleure aisance en développement d'activité :
- Des temps réguliers de lecture de la presse généraliste ou spécialisée, d'ouvrages de fond, de newsletters comme de bases de données mises en ligne en utilisant la technologie RSS (Rich Site Summary, autrement dit, sommaire riche de site web). Un "flux RSS" est en effet un fichier texte qui contient les titres des derniers articles mis en ligne par un site web ainsi que les liens vers ceux-ci. Ce fichier est généré périodiquement pour que le sommaire soit toujours à jour. Autre point non négligeable, cette technique est très économe en temps, comme m'en a convaincu Pierre GAY, Minotier à Baudrières que je remercie ici pour son apport.
- La participation à des colloques comme à des séminaires thématiques. C'est déjà un excellent moyen pour confronter son point de vue à celui des autres, pour mieux se positionner sur son marché, son secteur d'activité, son métier de dirigeant, son niveau d'expertise, ses concurrents,
- Des temps réguliers de formation continue,
- Des opérations de benchmarking,
- L'animation de groupes projets mobilisant des experts internes et externes,
- L'initiation de temps de réflexion avec d'autres pairs,
- La participation à des clubs d'entreprises,
- L'adhésion à des syndicats professionnels interprofessionnels ou corporatistes,
- Sans oublier naturellement la prospection commerciale,
- Et bien d'autres outils et méthodes encore.
Plus globalement, nous pouvons résumer ces temps consacrés au développement à trois phases successives autant qu'interactives :
- La phase d'observation,
- La phase d'analyse (état précis de l'environnement, des besoins solvables qui en émanent ainsi que des exigences qui peuvent en résulter),
- La phase de prise de décision (élaboration d'une offre de service performante, à haute valeur ajoutée et haut potentiel de réussite, c'est-à-dire conciliant besoins solvables des cibles prioritaires retenues et valeurs de l'entreprise).
Concernant les temps consacrés à la gestion, nous pouvons également les agencer en trois temps :
- La phase d'expérimentation,
- La phase d'industrialisation,
- La phase d'évaluation.
Vous permettrez ainsi à votre entreprise de respirer amplement et donc de vivre au rythme effréné que lui impose son environnement autant que la compétition à laquelle elle participe.
Et tout ceci selon une spirale verticale qui la conduira assurément vers le niveau d'excellence de plus en plus élevé que vous recherchez pour elle.
François BOUTEILLE
Coaching & médiation
Bibliographie
Stratégie et ressources de l'entreprise - Emmanuel METAIS - Editions ECONOMICA
Le grand livre de la stratégie – Jean Marie DUCREUX – Editions d'Organisation
La logique stratégique – José Carlos JARILLO – Editions DUNOD
Bonjour Monsieur Bouteille,
Je viens de lire votre Chronique Aparté.
Je pense, comme vous, qu'un chef d'entreprise ne peut pas avoir toutes ces qualités à la fois, mais qu'il peut tout à fait s'ouvrir au monde et s'informer (avec les outils que vous donnez).
Une qualité qu'il doit avoir en plus, selon moi, c'est de savoir s'entourer de collaborateurs qui sauront pallier à ses "manquements" et qu'il ne manquera pas de reconnaître...
Bien cordialement,
D.L.
Rédigé par : D.L. | 04 mai 2011 à 15:46
Bonjour Monsieur BOUTEILLE,
En lisant vos lignes, j'ai aussitôt pensé à Michel de Montaigne qui, dans son château du Périgord, a écrit ses Essais ;
Cette oeuvre majeure est reconnue comme clôturant le Moyen-Âge obscurantiste et ouvrant vers la Renaissance humaniste.
C'est après avoir beaucoup voyagé en Europe qu'il s'est retranché dans la quiétude de sa bibliothèque ...
Aujourd'hui, je pense à ceux qui travaillent dans un espace "underground", dans leur garage, leur grenier ou leur cave ; c'est eux qui prennent le temps de mettre en forme leurs idées glânées au fil de leurs pérégrinations par monts et vaux. Cette "réclusion" m'apparaît nécessaire pour les entrepreneurs qui "naviguent" à flux tendus, conduisent leur TPE/PME selon les courants dont ils faut profiter... ou non.
Vous témoignez justement à propos des dirigeants qui, aujourd'hui, se donnent du temps pour se cultiver... voire méditer.
Je sais que certains trouvent les bénéfices d'une introspection, qui leur fait prendre du recul ; ce qui peut être parfois salvateur et gage de durabilité.
En effet, vendre avec des objectifs erronés ou fallacieux fait courir une entreprise à sa perte.
Développer durablement un produit est une démarche qui se prépare, se programme, s'évalue, se réalise, se pérennise ; la conjoncture et le soucis d'être compétitif au regard de la concurence demande une réactivité et une flexibilité souvent préjudiciable à la "santé intellectuelle" des gestionnaires de société.
Trop se presser rend vulnérable la "ressource humaine" et le capital "informationnel" de la personne morale qu'est une entreprise. Savoir thésauriser l'intelligence des personnes physiques et celle des données informatiques me semble une problématique essentielle. Les capitaines à la barre de leur navire savent jongler avec leur intuition et leur organisation pour être à la fois visionnaire et pragmatique - l'un n'allant pas sans l'autre.
F.P.
Rédigé par : F.P. | 04 mai 2011 à 15:47
Bonjour Monsieur Bouteille,
Le concept d'evolution en spirale verticale vers une excellence, me plait beaucoup.
Il marque une evolution progressive qui est bien differente de l'evolution en escalier à laquelle nombre d'entreprises, du fait de la vue à court terme de leur dirigeant ou de leurs forces vives, pris dans un quotidien qui ne facilite pas une prise de recul, sont confrontés. Evolution en escalier, par paliers, ou la difficulté est de monter la marche et d'assurer le pas pour pouvoir à nouveau franchir une marche supplémentaire.
Ce concept de spirale verticale m'est très agréable, il me rappelle ces escaliers à vis que l'on empreinte sans réellement savoir, ou mesurer la ou ils ménent, en apercevant juste une partie de l'étape suivante, puis de l'étape suivante. A l'opposé de ces escaliers droit, dont on mesure d'emblée la grande difficulté, de plus, ces derniers nous donnent souvent l'illusion de savoir là ou ils nous ménent.
Il ne reste plus qu'à inventer ou à redécouvrir un escalier à vis sans marches comme celui d'une ancienne tour, celui-ci gagnant alors une autre dimension en perdant ses marches et de part la même son nom d'escalier. Il rejoint, alors votre concept de spirale verticale ascendante.
Je vous remercie pour ce bon moment de lecture,
Cordialement,
SD
Rédigé par : sebastien | 04 mai 2011 à 22:56
Bonsoir,
C’est toujours avec grand plaisir que je lis vos « Apartés ».
Dans le fil de votre chronique de ce jour, je vous propose deux citations extraites du livre « Hammerstein ou l’intansigeance » de Hans Magnus Enzensberger, qui se rapportent certes en première intention au monde militaire, mais qui me semblent tellement transposables au monde de l’économie et de l’entreprise, même si évidemment, notre époque censurerait de tels propos comme politiquement incorrects
« Débarrassez-vous du travail de détail. Ayez pour cela quelques gens intelligents. Mais laissez-vous beaucoup de temps pour réfléchir et pour parvenir avec vous-mêmes à des idées tout à fait claires. C’est seulement ainsi que vous pourrez commander judicieusement »
« Je distingue quatre espèces. Il ya les officier intelligents, les travailleurs, les sots et les paresseux. Généralement, ces qualités vont par deux. Les uns sont intelligents et travailleurs, ceux-là doivent aller à l’état-major. Les suivants sont sots et paresseux ; ils constituent 90% de toute armée et sont aptes aux tâches de routine. Celui qui est intelligent et en même temps paresseux se qualifie pour les plus hautes tâches de commandement, car il y apportera la clarté intellectuelle et la force nerveuse de prendre les décisions difficiles. Il faut prendre garde à qui est sot et travailleur, car il ne provoquera jamais que des désastres. »
Enfin, dans l’entreprise d’aujourd’hui, les propos de Perey Barnevik, ancien dirigeant du suédois Sandvik, me semblent d’une grande pertinence :
« It’s better to be rough right and fast than exactly right and slow, because the cost of delay is higher than the cost of rectifying mistakes. »
Cordialement,
P.D.L.H.
Rédigé par : PDLH | 05 mai 2011 à 12:01
bonjour francois j'ai ton article avec attention. Tout cela me semble très interessant. Je te félicite cati
Rédigé par : catherine bouteille | 18 mai 2011 à 19:51