Il est notoire que se pose de plus en plus un problème de fond, qui ne date pourtant pas d'aujourd'hui et qui est de tendre à concilier libéralisme d'épanouissement (individuel et collectif) et libéralisme de marché.
Si pour certains, tel que Jeremy BENTHAM (philosophe du 19ème siècle), comme le cite Jean Pierre GALAVIELLE (Universitaire), "l'homme est un produit du marché", pour l'un de ses disciples, John STUART MILL, "la production et l'échange participent au maintien du tissu social".
Et pour confirmer l'émergence de cette seconde thèse, nous voyons fleurir depuis quelques décades des concepts tels que "la culture d'entreprise", "la responsabilité sociale de l'entreprise" ou "l'entreprise citoyenne". Preuve que l'éthique a pris une place que l'on ne peut plus lui refuser au sein du discours relatif à l'économie en général et l'entreprise, en particulier.
Et pourtant, alors que récemment, l'essence manquait à la pompe, alors que le temps passé à attendre un hypothétique plein ne cessait de croître avec tout le désagrément et l'inquiétude qui en résultaient, je notai que le prix de vente des carburants augmenta en quelques jours de manière spectaculaire… Je vous laisse éthiquement méditer… en attendant de faire le plein de votre véhicule….
L'amalgame entre éthique, morale et déontologie
Avant d'aller plus loin, il me paraît une fois encore important de revenir sur ces termes, compte tenu des définitions variées et plus ou moins intentionnelles dont ils bénéficient. D'autant plus que nous faisons souvent l'amalgame entre éthique, morale et déontologie.
Il nous faut évoquer tout d'abord l'éthique en général, comme relevant d'un comportement qui cherche normalement à concilier respect de soi et d'autrui.
Elle est souvent confondue avec "la morale" alors qu'elle s'en distingue en fait par l'analyse critique qui en est à l'origine. La morale fait en effet référence avant tout à un absolu immuable, relevant d'un idéal, d'un dogme, construit à partir des postulats que sont le bien et le mal.
L'éthique, quant à elle, se veut plus relever de la raison et donc d'un niveau de réflexion critique, temporel, tel que s'y réfère, par exemple, un comité d'éthique au fil de ses travaux. Pour autant, nous sommes bien obligés d'admettre qu'une réflexion dite éthique ne peut pas se défaire de tout fondement moral. Nous sommes en effet empreints, au-delà de notre conscience, d'une histoire, d'une éducation, de traditions séculaires et donc d'une culture qui, ensemble, conditionnent notre manière de penser, "quoi que nous en pensions".
Pour certains philosophes contemporains, si la morale réunit un ensemble de devoirs commandant de faire systématiquement le bien, toujours compris comme une valeur absolue, l'éthique est plutôt à entendre comme la réalisation raisonnable de besoins. L'éthique s'attache alors plus à obtenir ce qui est bon, comme valeur relative, et non pas seulement ce qui est bien, entendue comme valeur absolue.
Subtile, me direz-vous. Si l'on prend des réalisations liées aux sciences et convenues par certains comme contribuant éthiquement à l'atteinte du bonheur (de ce qui est bon) tels que l'euthanasie, l'avortement ou le don d'organes, ils peuvent apparaître tout aussi légitimement comme immoraux à d'autres (de ce qui est mal). On voit mieux là ce qui distingue un point de vue critique d'un point de vue empreint d'absolu, sans pour autant opposer systématiquement l'un à l'autre.
Et la déontologie, me direz-vous? Il s'agit de l'utilisation systématique d'un code réunissant des règles éthiques et/ou morales rattachées à un groupe, une profession ou à une entreprise, par exemple le serment d'Hippocrate pour les médecins, les chartes, les labels ou les systèmes de valeurs partagées pour d'autres.
Il existe même un pacte mondial malheureusement encore trop méconnu ou bafoué, initié en 2000 par l'ONU à l'initiative de son Secrétaire Général, Kofi Annan, et signé depuis par des centaines d'entreprises. Il invite ces dernières à adopter, soutenir et appliquer dans leur sphère d'influence un ensemble de 10 valeurs fondamentales, dans les domaines des droits de l'homme, des normes de travail, de l'environnement et de la lutte contre la corruption. On peut ainsi parler ici de codes des bonnes conduites et bonnes pratiques, entendus comme les outils majeurs au service de l'éthique.
http://www.un.org/fr/globalcompact/principles.shtml
L'éthique des affaires, de l'intention …
Trop souvent encore, limitée seulement au point de vue d'une des parties, le discours sur l'éthique des affaires révèle alors paradoxalement des conflits d'intérêt, une dualité entre légalité et légitimité, en somme une contradiction notoire avec sa vocation première.
Elle peut, par exemple, conduire un dirigeant à accepter un pot de vin au risque sinon de faire faillite. Elle peut le conduire à responsabiliser ses collaborateurs en les invitant à adhérer à une charte de fonctionnement qui soit vécue par ces derniers comme génératrice de stress et ressentie comme un objet de manipulation. Elle peut générer des tensions entre ce qu'énonce cette charte et ce qu'a institué le droit du travail en matière de lien de subordination.
Elle peut conduire ce même dirigeant à devoir licencier certains collaborateurs et à ne pas honorer certaines créances pour préserver l'entreprise et pour partie ses emplois. Elle peut le conduire à mettre à mal une relation amicale au profit d'une relation d'affaire. En favorisant l'emploi des seniors, elle peut le conduire à créer un conflit intergénérationnel avec les jeunes également sans emploi. Elle peut conduire son entreprise à perdre en compétitivité sur le plan économique par la mise en œuvre de normes environnementales onéreuses. Elle peut enfin le conduire à préférer la création de richesse à la création de valeur.
Comme nous le voyons ici, l'éthique des affaires, entendue comme discipline au service pourtant du meilleur, intéresse de fait tous les domaines de la société et tous ses acteurs, sans exception. Et surtout, il ne suffit pas de l'ériger de manière univoque comme principe pour qu'elle permette à ses promoteurs d'atteindre les objectifs qui la caractérisent.
Faut-il encore se mettre d'accord sur la notion même de responsabilité partagée. Et là, tout le monde ne partage pas le même point de vue.
Autrement dit, l'entreprise doit-elle limiter sa responsabilité à une recherche de profitabilité sans cesse plus élevée à destination uniquement de ses actionnaires et de leur satisfaction comme le prétendait Milton FRIEDMAN (économiste américain) ou, comme le partagent un nombre de plus en plus important d'autres acteurs de l'économie, a-t-elle en responsabilité de prendre en charge avec sincérité la satisfaction de l'intérêt général (responsabilité sociale de l'entreprise) ?
… à la pratique
Quoiqu'il ressorte de cette réflexion, l'important n'est-il pas de privilégier la validation concrète de bonnes pratiques, équitables, à l'énoncé littéraire de bonnes intentions, aussi nobles soient-elles?
A un moment où bon nombre d'acquis sociétaux volent en éclat, laissant une part non négligeable de la population en déshérence, l'émergence d'une préoccupation éthique ne peut qu'être favorablement appréciée.
Pour autant et aussi surprenant que cela puisse paraître, le domaine des ressources humaines, première ressource, me semble-t-il, de l'entreprise, est souvent le parent pauvre de cette attention. Sans parler d'une hétérogénéité de fait de plus en plus grande entre entreprises, en matière d'engagement éthique dans le monde des affaires. Ecart croissant qui ne joue pas en faveur des entreprises en général et de leur image en particulier.
Aussi, l'éthique des affaires, pour exister durablement, doit-elle s'inscrire dans une dynamique humaniste, partagée et équitable de la réussite. Elle doit relever d'un mode vie et de relations aux autres qui s'inscrivent dans une approche de type gagnant/gagnant. Comme l'affirme Isabelle DAVID, Coach, elle doit, simultanément et indissociablement favoriser :
Ø L'augmentation de la productivité et la performance de l'entreprise,
Ø L'établissement d'un climat de commun accord entre tous les intervenants au travail,
Ø Une communication efficace, respectueuse des différences et des valeurs partagées,
En synthèse, l'éthique des affaires commence par l'apprentissage du respect de soi et des autres, pour le meilleur de tous, tout simplement.
François BOUTEILLE
Coaching & médiation
Bibliographie :
L'éthique des décideurs – Henri HUDE – Presses de la Renaissance
La responsabilité sociale de l'entreprise – Jean Pascal GOND – PUF
Qu'est ce que l'éthique des affaires? – Alain ANQUETIL – VRIN
L'éthique des affaires – Yvon PESQUEUX – Editions d'Organisation
L'éthique économique et sociale – Philippe VAN PARIJ – La Découverte
Osez le bonheur – Centre des Jeunes Dirigeants – Vetter Editions
Ethique et infini – Emmanuel LEVINAS – Editions Fayard
Passionnant et parfait (ou quasiment) comme d’habitude !
A lundi, soit demain…
Amitiés,
L.M.P.
Rédigé par : L.M.P. | 07 novembre 2010 à 19:59
François,
Merci pour ton texte, belle réflexion une fois de plus.
En ce qui me concerne je ne pense pas que l'éthique soit ancrée au plus profond de nous (vieux débat entre Rousseau et Voltaire)
j'ai l'impression qu'on ne peut parler d'éthique que lorsqu'il y a un conflit d'intérêt (individu, entreprise, environnement) et que l'on essaye de faire "au mieux" pour concilier les contradictions..... en entreprise la principale contradiction, me semble t'il est à gérer par le chef d'entreprise il se doit à la fois d'etre chef, de décider.... "sa légitimité individuelle"..... et vivre éthiquement qui suppose souvent le contraire..... accepter de partager de réfléchir de vivre collectivement... l'éthique dans ce cadre n'est elle pas qu'un outil pour appréhender ces contradictions et mieux les vivrent ?
qu'en penses tu ?
M.M.
Rédigé par : M.M. | 07 novembre 2010 à 20:01
Bonjour François,
Sujet d'autant plus d'actualité que novembre est le mois de l'économie sociale et solidaire. Mais la forme d'une organisation suffit-elle à dire si elle est "sociale et solidaire" ou pas? Non bien sur. J'argumente ici http://rhubarbe.net/blog/2010/10/28/de-leconomie-sociale-et-solidaire/ Pour Muhammad Yunus, fondateur de la Grameen Bank (micro-crédits), la différence entre une entreprise à vocation réellement sociale et une entreprise à vocation a priori sociale mais de facto de profit est que dans la première les investisseurs n'en retirent pas plus qu'ils n'y ont mis, le reste étant réemployé au sein de l'activité.
V.V.
Rédigé par : V.V. | 07 novembre 2010 à 20:02
Une nouvelle fois bravo pour cet excellent texte !
S.O.
Rédigé par : S.O. | 09 novembre 2010 à 00:32
C'est comme une grande ressource que vous fournissez et vous le donner gratuitement. J'aime voir les sites Web qui comprennent l'importance de fournir une ressource de choix pour les gratuits. J'ai vraiment aimé la lecture de vos messages sur francoisbouteille.typepad.com. Merci! et Happy New Year!
Rédigé par : Flavia | 06 janvier 2014 à 10:05