La culture garante du sens
Pour aborder ce thème beaucoup plus vaste et surtout déterminant qu'il n'y paraît de prime abord, interrogeons nous déjà sur ce qu'est la culture. J'aime bien cette approche de Joan Anderson et Reimer KIRKHAM (chercheurs canadiens), très centrée sur le concept de système de valeurs partagées dont je vous ai souvent parlé et qui écrivaient en ce sens d'elle il y a quelques années : "La culture est perçue comme un réseau dynamique et complexe de significations enchevêtrées dans les processus historiques, sociaux, économiques et politiques. La culture est un système de valeurs très fortement ancrées dans les croyances religieuses, les modèles de parenté, les arrangements sociaux, les réseaux de communication; elle comprend en outre les normes de conduite régissant l'individu, la famille et la collectivité". Pour sa part l'UNESCO préfère cette définition : "La culture, dans son sens le plus large, peut aujourd'hui être considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social.
Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. Ce réservoir commun évolue dans le temps par et dans les formes des échanges. Il se constitue en manières distinctes d'être, de penser, d'agir et de communiquer".
Grâce à ce court rappel, nous voyons combien cette culture, souvent appelée à la rescousse lorsque le sens tend à disparaître (et c'est malheureusement de plus en plus souvent le cas par les temps qui courent), est loin de se limiter à la seule expression artistique, comme cela est souvent pensé.
Culture(s) de l'entreprise ou culture d'entreprise ?
Si nous parlons alors d'un concept fondateur organisé et qui caractérise un groupe social, qui en forge l'identité, reste à se demander si l'entreprise en forme un. A cette question, certains répondront oui dès l'instant où l'on peut constater qu'existe dans une entreprise un mode de pensé particulier souvent impulsé par le "père" fondateur, mode de pensé qui peut perdurer, voire, évoluer, au fil de ceux qui lui succèdent, au point, parfois, de relever in fine du mythe justement fondateur. D'autres répondront que non, abordant l'entreprise plus comme le résultat d'un rapport de fort inévitable et donc d'approches culturelles qui se confrontent, voire, s'affrontent. Toujours est-il que la culture de l'entreprise, unique ou plurielle existe alors bel et bien.
A ce stade, doit-on limiter notre volonté à constater la présence de cette ou de ces cultures cohabitant dans l'entreprise ou bien faut-il développer une culture, cette fois-ci d'entreprise parce qu'augurant d'un meilleur et pour qui ?
La culture d'entreprise au service de la performance
Du temps où il suffisait à l'entreprise de produire pour vendre ensuite, il est probable qu'il fut plus difficile qu'aujourd'hui de constater véritablement des différences, des particularismes sur le plan identitaire avec d'autres produisant dans le même domaine d'activité. Il est donc vraisemblable que cette encore une fois l'environnement évoluant (passage d'une demande historique des consommateurs plus abondante que l'offre des entreprises à la situation inverse que nous connaissons depuis quelques décennies) qui a conduit presque à leur insu les entreprises à développer de manière beaucoup plus volontaire une culture qui leur était propre.
Ce "trait de caractère" souligné en gras, cette manière particulière et collective désormais d'être et donc de produire va permettre à celles et ceux qui l'ont stratégiquement compris de se distinguer, à leur profit, sur le marché qu'ils convoitent. S'il est vrai que si les démarches de certaines entreprises se révèlent apriori de nature éthique et humaniste (par exemple, le mouvement coopératif), il n'en demeure pas moins qu'elles restent toutes des entreprises parce qu'ayant une finalité économique.
Il est intéressant de rappeler que l'idée maîtresse qui préside à la promotion d'une culture d'entreprise est que désormais le sens commun doit permettre de réguler l'action en la précédant, pour qui veut réussir. Autrement dit, mettre en œuvre un processus qui conduise chaque individu à devoir adhérer aux principes fondateurs du groupe qu'il s'apprête à rejoindre pour profiter, par son engagement, de ses résultats, au risque, sinon, d'en être exclu.
La culture d'entreprise, remède et poison tout à la fois
Cette remarque n'est pas anodine puisqu'elle fait apparaître que la culture d'entreprise comprend à la fois le pire et le meilleur. En étant porteuse de sens, elle est vertueuse et accroît les facultés de réussite collective.
Par contre, elle peut à l'excès conduire l'individu à passer d'un processus d'instrumentation (mise à disposition d'un outillage qu'il utilise selon son libre arbitre) à un processus d'instrumentalisation (utilisation de la personne comme outil dans le seul but de parvenir à ses fins).
La culture d'entreprise, selon sa finalité, peut donc favoriser l'émancipation autant que l'incarcération. Aussi nécessaire qu'elle puisse paraître, elle est donc à manipuler avec grande précaution pour qui veut mêler durablement bien être et réussite économique.
Mieux travailler pour mieux vivre ensemble
Je pense pour ma part que le temps où l'on entrait en entreprise chaque matin avec ce fort sentiment de quitter la vie est révolu. Il me suffit de décrire le profil psychologique des managers dont les entreprises réussissent pour m'en convaincre, en brossant les grands contours de la culture d'entreprise qu'ils essayent de promouvoir.
Ce sont des hommes et des femmes qui disposent déjà d'une culture générale qu'ils prennent le temps d'entretenir avec plaisir. Ils ont également de leur personne et des valeurs qui la façonnent une connaissance toute particulière. Ils visent ainsi délibérément à l'émancipation de leurs collaborateurs par un management qui permet de libérer en toutes circonstances toutes les énergies positives disponibles. Ils sont dans le mouvement, et conçoivent la prise de risques et d'initiatives nécessaires. Ils apprennent à connaître leurs collaborateurs, respectent proximités et différences et débusquent les talents comme autant de richesses. Ils ne sont obnubilés ni par leur pouvoir, ni par leur réussite personnelle parce qu'elles font déjà partie de leur réalité. Ils souffrent en toute sincérité des situations de blocages que peuvent connaître leurs collaborateurs en matière d'évolution et font tout pour les lever. En somme, ces entrepreneurs du XXIème siècle ont bien compris pour eux et l'entreprise qu'ils gouvernent l'indissociabilité qui réside désormais entre économique, environnemental et social. En d'autres termes, ils conçoivent leur entreprise comme un véritable écosystème qu'ils cultivent avec une attention toute particulière.
François BOUTEILLE
Coaching & médiation
BIBLIOGRAPHIE
· La culture d'entreprise, un actif stratégique – Olivier DEVILLARD – DUNOD
· La culture d'entreprise pour manager autrement – Eric DELAVALLEE – Editions d'Organisation
·
· L'éthique dans les entreprises – Samuel MERCIER –
Que les dirigeants donnent l'exemple dans l'amour de leur entreprise comme sur un terrain de rugby le capitaine donne l'exemple du courage et de la loyauté.
Mon fils qui travaille à France-Télécom encadre des stages et il en subit . On a mis en place un système de lâches et d'irresponsables dans les entreprises . Plus ça va moins ça va !
R.D.
Rédigé par : R.D. | 04 mai 2010 à 17:33
Bonjour François,
Et encore bravo pour ce nouvel aparté qui nous donne envie d’en savoir plus.
J’ai suivi dans les années 90 - 91 (Aïe aïe aïe…ça fait 20 ans !) le cycle de gestion d’entreprise du CEDEP à Fontainebleau, qui fonctionne avec l’Insead, et la culture d’entreprise y fait bien évidemment l’objet d’un développement particulier.
En matière de culture (d’entreprise) l’entreprise constamment citée comme référence absolue en la matière dans les écoles de commerce du monde entier, à Harvard, à Berkeley, au MIT est française : Michelin ! Avec l’image caricaturale de François Michelin emmenant femme et enfants à la messe le dimanche matin, au volant de sa 2CV et s’arrêtant à la boulangerie sur le chemin du retour, descendant lui-même acheter la baguette destinée au repas dominical.
L’intervenant avait conservé une lettre reçue de Michelin dans les années 85, en réponse à sa demande de documentation sur l’entreprise pour étayer ses cours. Michelin lui avait répondu par une lettre tapée sur une vieille machine type Underwood modèle 1917 dont la frappe de la lettre « o » faisait des trous dans le papier, que « …notre Maison est au regret de ne pas disposer de tels documents d’information… » (La « Maison » employait déjà quelques 150.000 personnes dans le monde…)
Pour être passé par quelques « Maisons » françaises bien connues, mon expérience est que la culture provient en grande partie de la façon dont le ou les dirigeants se comportent.
-Chez Martell (le cognac) où mon père a passé sa vie, et où j’ai fait mes 1ères armes, c’était le paradis sur terre ; chaque salarié adorait la famille Martell au complet et se serait fait couper en rondelles pour eux. Il y avait dans cette entreprise une âme, une chaleur, une fierté incomparable d’appartenance du groupe à une entité exceptionnelle, où il faisait bon travailler.
-Chez Andros, où le patron est un fou furieux, coléreux, emporté, grossier, cinglant, c’est le goulag, le règne de la terreur et du harcèlement (sous les deux formes, d’ailleurs, à commencer par le patron lui-même), on prend des somnifères pour dormir et du prozac pour tenir la journée. (Absolument véridique, les médecins du coin sont consternés, mais…liés au secret médical). Donc là, bien évidemment, pas d’âme, que des états d’âme !
Bonne soirée,
Cordialement.
L.M.P.
Rédigé par : L.M.P. | 04 mai 2010 à 18:44
Je souhaiterais vous dire que le sujet abordé est très important dans les mentalités et dans les relations de demain.
Je suis entièrement d'accord avec vous, je crois que l'entreprise doit avoir un vrai leader qui lui même doit faire passer des idées saines et positives à travers ses salariés.
Je n'ai que très peu de temps pour développer, mais je suis toujours très agréablement surpris de la philosophie que vous avez car elle rejoint très souvent ma vision de la relation humaine, du respect et de son regard envers chacun de nous.
Bonne soirée et à bientôt,
W.P.
Rédigé par : W.P. | 04 mai 2010 à 22:51
Cher Monsieur,
je vous convie à découvrir un article déjà ancien paru dans Le Point n°1898 du 20 janvier 2009 intitulé "travail et dignité", où la philosophe Michela Marzano traite d'un sujet très proche de celui que vous abordez, et très instructif à mes yeux…
Avec mes cordiales salutations,
P.D.L.H.
Rédigé par : P.D.L.H. | 04 mai 2010 à 23:00
Bonjour François.
Ton dernier aparté vient confirmer mon expérience à l'UFF, qui a
pourtant un semblant de culture d'entreprise... mais basé sur des
concepts financiers qui se passent aisément de celle de chacun de ses
employés.
Je milite depuis des mois au sein de mon entreprise pour une prise de
conscience de l'intérêt d'une communication commune à tout le réseau
commercial (24 agences, 900 conseillers !)
Je défends l'idée d'une culture d'entreprise qui permette aux
individualités d'exister, aux identités de chacun d'apporter ce qui
fait la force d'un réseau commercial : sa compétence relationnelle !
En effet, ici s'opposent la méthode commerciale d'une entreprise
éprouvée pendant 40 ans et une multitude de personnalités qui
possèdent une multitude d'approche du prospect. Si bien que d'
immenses disparités commerciales apparaissent.
Mais la ligne de défense des responsables de l'Union Financière de
France reste inlassablement basée sur la culture du chiffre : 8 rdv
prospects / semaine ; 4 rdv vente / semaine ; 16 rdv réalisés /
semaine ; CA 120 ke / mois / conseiller ; 2 ventes immobilier ; 6
épargne ; 4 cash....... etc
Paul, Pierre et Jacques n'ont qu'à bien se tenir ! A l'UFF la culture
d'entreprise n'appartient pas à un réseau dynamique de connexions
sociales, historiques, religieuses, spirituelles, politiques.....
issues des hommes et femmes qui la composent. Non, à l'UFF, la
culture d'entreprise tient dans le disque dur de l'ordinateur que les
conseillers reçoivent à leur arrivée dans l'entreprise. Si bien qu'en
ses temps où l'économie mondiale fait perdre confiance au monde de la
finance, la réponse unilatérale d'une telle entreprise de ce monde
financier est de conserver la méthode. Au quotidien la prospection
devient difficile, les langues se délient, la confiance se perd, la
méfiance naît, le fossé se creuse....
J'ai insisté sur l'importance d'une image renouvelée et commune au
réseau commercial. Mais les chiffres sont tenaces, les habitudes
toujours en place... alors je cherche la porte de sortie. Et je ne
suis pas le seul.
A ta question, cher François, concernant la pensée commune pour être
performant, je répondrai : "plus que jamais, l'âme d'une entreprise
doit refléter l'âme des hommes et des femmes qui la composent. Un mix
culturel doit naître de l'ensemble de ses hommes et femmes. Dans
l'entreprise, social et économie sont intimement liés. "
Et j'ajouterai : " la culture d'entreprise doit transpirer celle qui
existe en dehors de l'entreprise. Une structure économique qui ne
serait pas à l'écoute du monde extérieur est vouée à l'échec.
Elaborer une culture, oui mais pas que ! La faire vivre et évoluer,
surtout ! "
Sur cet échange, je te souhaite une belle semaine.
Amicalement
H. M. Conseil en communication, finance et patrimoine
Rédigé par : H.M. | 11 mai 2010 à 13:42