Aparté n°98, 24 avril 2008
Jean de la Fontaine (1621-1695) est l'un de ces écrivains dont on méconnait souvent toute l'étendue de l'œuvre et dont les fables en particulier restent, de mon point de vue, d'une totale actualité, dans leur enseignement comme dans la méthode anthropomorphique utilisée. Pour les joueurs de scrabble, l’anthropomorphisme consiste à conférer des propriétés (comportementales ou morphologiques) spécifiquement humaines à des sujets ou des objets non humains.
Cet artifice littéraire permet surtout de faire passer certains messages sensibles qui, présentés plus directement, auraient pu être rejetés.
Mais pourquoi, me direz-vous, parler de ce Monsieur dans le cadre d'un sujet traitant d'organisation. Et bien, parce que pensant justement à notre thème du jour, il m'est revenu en mémoire la fable du lièvre et de la tortue.
Cette fable commence en effet par la morale suivante que tout le monde a sur le bout de la langue : "Rien ne sert de courir, il faut partir à point".
Alors, c'est quoi l'organisation ? Y a-t-il différentes manières de l'envisager ? Et si l'on pense qu'elle est nécessaire, quelles sont les principales clefs de sa réussite ?
Voici quelques questions dont je vous propose comme d'habitude d'ébaucher ensemble les possibles réponses comme autant d'hypothèses de travail.
Premier constat surprenant mais ce thème ne fait l'objet d'études et de recherches que depuis très peu de temps. La plupart remontent en effet au XXème siècle et souvent à sa seconde partie. Aussi, le nombre des communications à son sujet reste tout à fait limité. Comme le professeur en management, Henry MINTZBERG, le précise dans son ouvrage-référence intitulé "Structure et dynamique des organisations", on ne peut pas dire qu'actuellement on comprenne encore bien la nature de ces flux qui parcourent et structurent l'organisation, qu'ils s'agissent en particulier des flux de travail, d'autorité, de matériel, d'information ou de prise de décision".
Quand je tente toutefois de préciser ce qu'est une organisation, j'aime bien reprendre à mon compte cette définition : "Entité composée de gens qui poursuivent ensemble des objectifs communs. Les organisations et leurs membres poursuivent alors leurs intérêts au sein d’une structure institutionnelle définie par des règles formelles (constitutions, lois, règlements, contrats, procédures) et informelles (éthique, confiance, croyances religieuses et autres codes de conduite implicites).
J'en retire tout de suite une première évidence : il n'y a d'organisation qui vaille que si elle est la conséquence, la mise en œuvre d'objectifs préalablement définis.
Et pour préciser mon propos, je rappellerais en écho à ce qui vient d'être dit que deux facteurs déterminants me semblent conditionner l'énoncé d'objectifs communs dignes de ce nom par les membres d'un même groupe :
- Une observation permanente, pragmatique et structurée qui permette d'identifier les besoins réels auxquels ce groupe souhaite apporter une réponse.
- Un ensemble de valeurs explicites et partagées par l'ensemble des membres de ce même groupe et qui lui permettent de réellement exister.
La définition de l'objectif poursuivi résulte alors d'une savante alchimie où justement chacun de ces deux ingrédients compte dans des proportions pouvant notoirement varier. Le tout est de prendre soin de réaliser le mélange recherché pour ses vertus et donc son efficacité.
Pour qui veut en effet développer une démarche que je qualifierais d'essentiellement éthique, ces valeurs (que d'autres appellent aussi convictions, principes, croyances, certitudes, …) doivent occuper une place décisive dans le choix terminal, au risque d'accepter de perdre, s'agissant par exemple d'entreprises, certains marchés.
Mais pour qui veut plutôt promouvoir une démarche "affairiste" à "tous prix", en écho aux besoins du marché et à ses conditions d'accès, le groupe ne doit pas hésiter à abandonner ou "pondérer", si nécessaire, certaines de ses valeurs pour mieux atteindre son but.
Nous voyons là toute l'importance de prendre le temps de cette réflexion stratégique. Car le mode d'organisation qui en résultera en matière de gestion des flux cités plus haut ne sera évidemment pas le même au niveau des règles formelles et informelles qui le réguleront.
Autre donnée constitutive pour qui veut mettre en œuvre une organisation efficace, le nombre des membres constituant le groupe ou l'unité de production et la nature-même des tâches à accomplir.
Dans le cas d'un petit nombre d'individus et de réalisations techniquement simples, l'organisation peut se limiter à ce que certains appellent "l'ajustement mutuel". Il conduit alors à une coordination du travail par simple communication informelle. La gestion et le contrôle du travail restent ainsi entre les mains des opérateurs.
Mais, ô surprise, on peut également trouver ce mode d'organisation efficace dans des situations à très haut niveau de complexité, du fait, en particulier, de l'inexpérience dans le domaine traité. Par exemple, lors du premier vol sur la lune, des phases pourtant éminemment sensibles avaient été laissées au total libre arbitre des astronautes américains. Ils étaient en effet les seuls à disposer de l'ensemble des informations nécessaires pour prendre les décisions adéquates en s'adaptant alors au mieux aux circonstances du moment.
Sortis de ces deux cas de figures particulières, ce sont bien les conditions de la production telles qu'elles sont conceptuellement envisagées qui vont, je le pense, pour l'essentiel conditionner la réussite des groupes au travail en général et des entreprises en particulier.
Max Weber (1864-1920), sociologue et économiste allemand tente de définir la forme bureaucratique de nombreuses structures de son époque.
Hors toute polémique sur le terme, la description très précise et argumentée qu'il en donne réunit un certain nombre de concepts vérifiables tels que : la division du travail, la spécialisation, la formalisation du comportement, la hiérarchie d'autorité, la chaîne de commandement, la communication régulée, la standardisation des processus de travail et des qualifications, etc….
Pour beaucoup, encore aujourd'hui, ce modèle relève de l'évidence dès que la taille suffisamment importante de l'entreprise le nécessite et que son comportement est standardisé (tout semble y être prévisible et prévu au niveau de la production).
Et pourtant, trois grands types de facteurs récemment apparus ou plus présents encore ont désormais une influence déterminante sur les groupes en général et les entreprises en particulier dans la manière beaucoup plus flexible de s'organiser.
- Des facteurs de nature technique : montée des activités immatérielles, explosion des NTIC, mutation de la science, etc.…
- Des facteurs de nature sociologique et psychologique : recherche de nouvelles valeurs, évolution du rapport au travail, à l'autorité, explosion des modèles managériaux, accélération et déséquilibres démographiques, etc.
- Des facteurs de nature économique : fin brutale des trente glorieuses, mondialisation de l'économie, évolution des modes de consommation et des réglementations, amplification des interdépendances, etc.…
Dans ce nouveau contexte socioéconomique, les travaux de BURNS et STALKER de 1966 sont, de mon point de vue, d'une pertinence toute particulière.
En effet, forts d'une étude réalisée auprès d'entreprises, ils affirment que si les structures de type bureaucratique (mécaniste) conviennent aux organisations qui opèrent dans des circonstances stables et dynamique, de plus en plus nombreuses sont celles qui requièrent pour leur compétitivité un autre type d'organisation pour pouvoir ainsi développer une capacité d'innovation face à cet environnement complexe et changeant.
Ce type de gestion plus souple est alors qualifié par eux de structure organique.
La responsabilité de la coordination des tâches incombe à chaque individu. La définition des responsabilités, des tâches et du pouvoir y est moins formelle. Les relations sont aussi bien latérales que verticales. La chaîne de commandement nécessite une consultation latérale (management participatif). La connaissance doit être désormais partagée et diffuse.
Reste à savoir si aujourd'hui tout le mode est préparé pour vivre cette nouvelle forme d'organisation, des directions aux opérateurs.
Quant au lièvre de Jean de la Fontaine, s'il avait compris tout ceci, il serait, j'en suis convaincu, bel et bien arrivé le premier.
François BOUTEILLE
Coaching & médiation
Il semble en effet paradoxal que des travaux "théoriques" sur les modèles organisationnels dans l'entreprise soient aussi récents mais le besoin est né avec l'activité industrielle et la production de masse nécessitant un référentiel pour maîtriser en quantité et en qualité la production de masse.
A mon sens le plus fort levier d'évolution de l'organisation est la contrainte :
- répondre à la demande a conduit au modèle taylorien des années 20
- optimiser le temps machine au toyotisme de l'après guerre
- L'inversion de l'équilibre entre l'offre et la demande en 1975 a conduit à la recherche de flexibilité pour répondre aux attentes spécifiques des clients
Aujourd'hui, d'où la difficulté de l'exercice, il faut concilier l'ensemble des contraintes face à des clients versatiles, à la recherche du meilleur prix.
Le modèle le plus adapté n'a sans doute pas encore été trouvé (s'il en existe un) mais les entreprises le cherchent. La démarche de management par les processus, offre une alternative efficace qui permet de mobiliser tous les niveaux de l'organisation au service des clients et de l'amélioration continue de la performance.
Mais ne nous y trompons pas : Un organisation c'est avant tout l'investissement quotidien d'hommes et de femmes qui les rendent efficaces et les rendent pérennes. Il faut aussi penser à la reconnaissance !
Rédigé par : D.B. | 25 avril 2008 à 21:58