Aparté n°39, décembre 2002
En cette période où nous allons fêter la nativité, j'ai pensé utile de revenir sur l'évolution démographique de notre pays (et de l'Europe de l'Ouest dans son ensemble), son impact au sein de nos entreprises et enfin les moyens qui pourraient être mis en œuvre pour pondérer ses effets et préserver ainsi notre compétitivité.
Les chiffres du recensement de 1999 sont là, affichés sans complaisance, attendus pour certains, surprenants, voire , inquiétants pour d'autres. Reprenons les pour l'essentiel afin surtout de stimuler notre sens de l'analyse et notre imagination créative.
L'INSEE nous rappelle que, tout au long du XXème siècle, les naissances ont presque toujours été plus nombreuses que les décès, permettant ainsi à la population d'augmenter régulièrement. Le recul de la mortalité plus que l'immigration explique cette croissance.
Aujourd'hui, il n'est plus question de compter sur ce type de recul massif, ni sur une natalité sans cesse en baisse depuis 1947. Si le taux de fécondité était en effet à cette époque de 3,04 enfants par femme, il a dégringolé pour aboutir en 1999 à 1,79.
Sans oublier que, durant ces 20 dernières années, l'âge moyen de la maternité est passé de 26,7 ans à 29,3 ans.
Le deuxième phénomène qui a totalement bouleversé la répartition par âge de la population est l'allongement de la durée de la vie. En un siècle, elle a augmenté de 30 ans. Et depuis le début des années 90, le gain d'espérance de vie est de près d'un an par tranche de 4 ans.
En conséquence, la part des personnes âgées s'est accrue et, dans le même temps, celle des jeunes a diminué. En 1999, un habitant sur cinq avait 60 ans et plus tandis qu'un habitant sur quatre avait moins de 20 ans.
La France vieillit et tout indique que cette tendance sociologique est bel et bien structurelle, donc durable.
Et rien ne nous indique que la population de nos entreprises ne va pas connaître la même évolution.
Il convient donc de se poser sans tarder les bonnes questions.
Revenons donc avant tout au sens, à ce qui rend nos entreprises compétitives. Plus que jamais l'eau et le feu s'y mêlent. Elles ont besoin d'innovation, de réactivité, d'adaptabilité, …. Mais dans le même temps, elles requièrent d'autres qualités telles que le sens de l'analyse, la régulation, la cohésion, la cohérence, l'existence d'une identité affirmé, un sens social, ….
Et c'est de la gestion d'un équilibre permanent à partir de cette dualité que résulte, j'en suis convaincu, la réussite tant attendue.
Celles des entreprises qui entrouvrent trop timidement leurs portes aux jeunes vieillissent prématurément. Quant à celles qui, de manière trop souvent inconvenante, se débarrassent de "leurs vieux", elles meurent souvent d'amnésie.
Demain, les jeunes européens représenteront une valeur de plus en plus rare et qui saura rapidement se vendre alors à son juste prix. Lors des phases de recrutement, leurs exigences pèseront de plus en plus lourd dans la balance de la négociation.
C'est donc aujourd'hui qu'il faut déjà porter un soin tout particulier à leurs conditions d'accueil dans nos entreprises. Et quelle que soit la vision, aussi déconcertante soit-elle, qu'il ont du travail.
J'ai longuement évoqué dans ces colonnes quelques unes des conditions qui faciliteraient cette coopération jeunes/entreprises.
D'ici peu, ces facultés particulières dont auront su se doter les entreprises seront autant de critères d'attractivité et de fidélisation nécessaires pour garantir l'efficacité de nos structures.
Alors, face à une telle perspective, faut-il baisser les bras, pris par un fatalisme sans issue ? Certainement pas, bien au contraire.
Concernant ces mêmes jeunes, il serait également d'une absurdité majeure que de restreindre le marché de l'emploi à ceux qui sont français. Une attention toute particulière devra être portée à l'accueil de jeunes nés hors de nos frontières, porteurs des compétences recherchées et de facultés d'intégration exprimées.
Cette dimension mondiale apparaît désormais comme incontournable, voire, prometteuse.
D'ailleurs, certains pays anglo-saxons ne nous ont pas attendu pour développer cette politique démographique volontaire, à destination plus particulièrement de la jeunesse française diplômée!
Quant aux plus âgés, quelques études encore trop rares proposent des pistes afin d'élaborer des stratégies sous forme de compromis entre le souci de veiller à leur bonne santé et la réalisation des objectifs de production.
Trois lignes directrices peuvent être énoncées :
- L'anticipation des difficultés et des perturbations pour en limiter au mieux les effets.
- La construction et l'usage de collectifs de travail mixtes en âges.
- L'essai dune meilleure maîtrise des changements et des aléas au moyen de l'expérience acquise.
Il est important de nous rappeler l'inexactitude de nombreux a priori. Ce n'est pas au sein de cette population au travail que l'on trouve une densité élevée de pathologies graves, bien au contraire. Il s'agit plus d'une kyrielle de petits troubles qui de par leur accumulation non envisagée préventivement génère de la pénibilité pour les individus concernés, leur entourage comme pour l'entreprise.
N'oublions pas non plus cette augmentation spectaculaire de l'espérance de vie génératrice d'une population active vieillissante en bien meilleure santé.
C'est donc bien tout ce qui va être entrepris sur le registre préventif qui aura l'effet significatif recherché. L'ergonomie devrait trouver enfin une place pleinement justifiée. D'autres initiatives devraient voir le jour ou être renforcées comme l'amélioration globale des conditions de travail, la lutte contre le bruit, le développement d'espaces de liberté dans le travail, le management participatif, le développement d'un volant de postes de travail évolutifs et adaptables, le suivi médical préventif, la sensibilisation aux gestes et postures, le maintien d'un bon entraînement général, le tutorat des plus jeunes, …. Autant de conditions qui maintiendront élevées motivation et mobilisation au travail.
Quant à la baisse de rapidité sur certaines tâches, elle peut largement être compensée par une plus grande fiabilité sur le plan qualitatif. 75% des employeurs affirment que les travailleurs vieillissant sont plus "sérieux".
On voit combien il sera plus que jamais pertinent de mixer ainsi les équipes afin de faire se côtoyer vivacité et expérience.
D'autre part, le vieillissement étant un phénomène progressif, l'individu met en place parfois de manière inconsciente des stratégies visant à optimiser de façon anticipative sa performance. On peut souhaiter que l'entreprise l'aidera en ce sens de manière plus attentive et structurée.
Autre facteur favorable qui est celui d'une bonne maîtrise de la gestion de l'information de cette population, allant jusqu'à la constitution de réseaux relationnels particulièrement performants. Cette capacité générant dans le même temps une faculté toute particulière à s'organiser.
Face à ce qui constitue déjà notre réalité, je suis pour le moins étonné qu'une telle recomposition de notre société et de nos entreprises n'éveille pas plus de réflexions et d'initiatives dans le champ de l'expérimentation sociale.
Sommes nous face au tabou de la vieillesse et au mythe de l'éternelle jeunesse ? L'homme que je suis qui a fait de l'analyse son métier est bien incapable de répondre à cette question déroutante pour autant capitale.
Je vous invite simplement et sereinement à en parler, au sein de vos familles comme dans vos entreprises de la manière la plus optimiste qui soit.
Quel beau projet de société que de parler de l'avènement d'une vieillesse épanouie!
Bonnes fêtes et tous mes vœux de réussite pour 2003.
François BOUTEILLE
Coaching et médiation
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